Histoire des Ganaderias. Adèle Pabon/Raoul Pabon. Michel Puzos
Faire référence au nom de Pabon, c'est immédiatement penser à Adèle Pabon-Labeyrie : peut-être la première femme ganadero dans l'histoire de la course landaise qui a tenu l'affiche aussi longtemps qu'elle, une maîtresse femme que quelques traits caractéristiques n'ont fait oublier de personne : ses yeux bleus, son légendaire sac à main qu'elle ne quittait jamais, la sévérité de ses traits qui traduisaient son tempérament de femme active, passionnée, déterminée, exigeante avec les autres et avec elle-même ; une femme qui avait traversé une vie tumultueuse, souvent difficile, mais qui avait su faire face à la vie avec courage. Jusqu'au bout, sa passion pour la course landaise aura été intacte, et même après la mort de son fils Raoul, lui aussi personnage éminent de la tauromachie landaise, elle continuera à faire vivre une ganaderia dont le nom restera attaché à tout jamais aux grands noms de la course landaise.
Née en 1894 à Barcelonne du Gers, Adèle Fourcade baignera très vite dans l'ambiance de la course landaise. Son parrain s'appelait Jules Sarrade, entraineur chez Barrère, puis vacher chez Dubecq. Chez les Fourcade on entendait donc parler courses et la petite Adèle s'imprégna rapidement de cette ambiance. Et puis, Adèle partagea sa vie de femme avec des passionnés de course landaise. Son premier époux, Pierre Pabon, présidait le comité des fêtes de Barcelonne et suivait assidument les courses. Hélas à 26 ans, Adèle se retrouva veuve avec quatre enfants issus de ce mariage. Elle refit sa vie avec Albert Labeyrie qui était écarteur, cousin du grand Joseph Coran et qui lui donna deux autres enfants. Hélas en 1934, celui-ci décède suite aux graves blessures qu'il avait reçues lors d'une course à Cazaubon. Adèle Fourcade, désormais Pabon-Labeyrie, va s'accrocher à la vie, élever ses enfants (deux hélas mourront bien jeunes), faire fructifier ses affaires en reprenant la direction de l'entreprise familiale de chiffonnerie, récupération de plumes et duvet.
Sa passion pour la course landaise ne l'a pas quittée, son fils Raoul a attrapé le virus et fait ses premiers pas dans l'arène à Gabarret. Qui plus est, de son veuvage elle a hérité de propriétés… et en femme économe, elle a rempli son sac à main. Tous ces ingrédients réunis font qu'à 56 ans, en 1950, Adèle Pabon-Labeyrie va devenir ganadero. Sans doute par passion pour la course landaise, mais aussi pour son fils Raoul.
Raoul Pabon avait débuté dans des courses de novillos (anciennement courses de seconde) en 1930 avec le troupeau Bourre, puis Dussaupic de St Loubouer, Lafitte d'Eauze. Mais c'est en 1933 qu'il passa en formelle chez Barrère. En 1941 il se retrouva chez Lataste, en 1942 chez Saint-Martin, en 1943 avec Stetin, puis de 1944 à 1950 chez Larrouture, faisant sa dernière course formelle à Miramont. Raoul Pabon se mit en vedette dans de nombreuses places réputées comme Dax, Mont de Marsan, Gabarret, Aignan, Rion des Landes…
Comme dit précédemment tous les ingrédients étaient réunis pour Adèle Pabon pour favoriser la création d'une ganaderia. Mais il fallait le déclic. Et justement le déclic survint. Un petit différent l'opposa au ganadero René Larrouture. Ce dernier avait engagé Raoul Pabon comme teneur de corde pour l'année 51. Et voilà qu'il revint sur sa décision. Il n'en fallait pas davantage à Adèle, femme de parole et de caractère pour dire à René Larrouture : « Puisque c'est ainsi je monte ma ganaderia ». Et tout commença ainsi…
En 1951 Adèle Pabon se met en rapport avec des manades de Camargue, Pouly, Yonnet et Sol. Et à 3 reprises elle achète des vaches : 12 en janvier, 10 en mai et 6 en septembre. Certaines seront logées chez Latapy. Avec 28 coursières la ganaderia Pabon peut démarrer.
1951 : premières courses de seconde, tout se passe bien. Une association est proposée à Roger Latapy qui accepte. Mais en 1952, Adèle Pabon veut aller plus haut et plus loin. Roger Latapy cette fois ne suit pas. Adèle Pabon part seule en formelle. Elle achète des Pintos Barreiros de Conchita Cintron, et constitue une cuadrilla composée de : Lavigne I (chef de cuadrilla), Lavigne III, Lafitte, Meunier, Monacot, Henri II, Saint-Martin, André Taris (sauteur), Tisterot (teneur de corde). Plus tard, et jusqu'en 1963, Raoul Pabon tiendra la corde tandis qu'André Pabon était l'entraineur, mais aussi le vacher et le conducteur du camion. Adèle Pabon va hisser sa ganaderia au rang des meilleures.
Chez Pabon, le travail et le sérieux sont de mise. On ne badine pas avec la qualité. Les contrats se multiplient, du bétail neuf acheté en Camargue chez François André ou Fanfonne Guillerme, puis en Espagne ou au Portugal, vient grossir les rangs du cheptel. Car si la ganaderia a opté pour les formelles, elle n'a pas délaissé pour autant les courses de seconde avec Raymond Lavigne pour diriger des équipes de jeunes. Le travail et les investissements sont payants : en 1959, la ganaderia Pabon obtient une corne d'or à Nogaro, la première corne d'or qui fut attribuée par le public. Cereza, une portugaise Salamanquine se voit donc attribuer cette récompense. Titre de gloire pour la ganaderia. En 1961 Matchuelle sera classée seconde derrière la très bonne Challengita de la ganaderia Maigret. Il y eut aussi d'autres coursières de grand renom telles Maroca, Aturine, Almeria, Tabernera… et tant d'autres.
Il arrive que des gens de caractère se tournent le dos, mais ils savent aussi se retrouver sur des choses importantes. Après leurs petits démêlés, Adèle Pabon et René Larrouture se retrouvèrent sur une idée simple : l'entente fait la force. Pour produire des courses formelle de qualité il faut du bétail nombreux, le meilleur possible, et les meilleurs écarteurs du moment. C'est ainsi que fut scellée cette entente Larrouture- Pabon qui fit les beaux jours de la course landaise dans les années 70. Adèle était aux commandes, mais c'est Raoul qui la représentait aux courses et aux manifestations. Adèle était dans l'ombre, et Raoul dans la lumière au côté de René Larrouture.
Durant ces années-là de nombreux écarteurs furent découverts par la famille Pabon : Roland Gantois qui remporta le concours de Dax en 1959, Jean-Claude Ley, Eloi Nougaro, Gilbert Saint-Martin, René et Christian Darracq, Jo Barrère, Etienne Labourdette… autant de grands champions qui partirent ensuite vers d'autres cieux, chez Maigret notamment au moment de la formation de l'entente Larrouture-Pabon, le ganadero d'Ossages René Larrouture ayant amené au sein de l'entente ses écarteurs.
En 1979, un tournant moins heureux celui-là s'amorça pour la ganaderia. Raoul Pabon venait de décéder. Adèle Pabon qui avait eu le cran de monter une ganaderia à 56 ans, qui avait eu l'audace de s'insérer dans un monde d'hommes difficile, et qui avait réussi à la force du poignet à hisser sa ganaderia tout en haut de l'affiche, décida de tout arrêter. A quoi bon… son fils n'était plus là. Mais les chênes ne s'abattent pas ainsi, et les plus rudes tempêtes ont parfois du mal à déraciner les troncs les plus solides. Pour Adèle Pabon, si les courses étaient désormais terminées, il n'était pas question de vendre sa ganaderia. Non seulement elle ne vendit pas, mais elle continua à entretenir les propriétés, à acheter du bétail…
En 1986, à 90 ans passés, bon pied bon œil, on la vit partir en Camargue avec son dernier fils André Pabon acheter un lot de vaches. Mais pourquoi donc ? « Je prêterai à ceux qui en ont besoin, disait-elle, mais je ne vendrai pas ». Prêter... pour quelqu'un qui avait le sens des affaires, c'était montrer aussi son côté humaniste ; et c'est sans doute pour cela, elle qui savait ce que sacrifices et souffrances veulent dire, qu'elle s'investit autant dans la Mutuelle des Toreros. Et en temps que commissaire aux comptes, elle s'acquitta parfaitement de sa fonction. A la ganaderia, André Pabon était à ses côtés pour assurer son bon fonctionnement.
Aujourd'hui, après leur disparition, les terres ont été rachetées et les ganaderias de la Dal et de l'Armagnacaise ont remplacé celle d' Adèle et de Raoul Pabon.
En 1985 le ministre de la jeunesse et des sports Alain Calmat décerna à Adèle Pabon-Labeyrie la médaille d'or de la jeunesse et des sports pour son action en faveur de la course landaise, médaille qui lui fut remise au nouveau siège de la fédération. Une récompense amplement méritée pour cette dame qui a donné sa vie à la course landaise.