1.)
Roger Latapy est né à Laurède en 1908, un village chalossais dont l'aficion et le renom furent longtemps portées très haut et très loin par le sauteur Daverat, pour lequel fut d'ailleurs édifié à sa mémoire, sur la place principale, un petit monument. Roger fut donc élevé dans cette ambiance où la course landaise était l'objet de toutes les conversations. Et très vite, il alla s'essayer devant les vaches de course, afin de tester ses aptitudes. Mais c'était surtout ganadero qu'il voulait devenir.
Installé à Souprosse en 1935, il connut les affres de la 2ème guerre mondiale ayant été fait prisonnier par les allemands en Tchécoslovaquie. A son retour, il retrouva une vie de famille avec Lucie son épouse et ses deux fils nés avant la guerre, Gilbert et Aimé. Le retour à une vie normale pour Roger Latapy c'était aussi le retour à ses passions, à la course landaise. Et c'est donc sur ses terres de Souprosse qu'il décida d'acheter un troupeau et de créer sa ganaderia. C'était en 1947. L'année de la naissance de sa fille Gisèle.
Il commença d'abord avec les vaches qui appartenaient à Mr Pautard de Mugron et à un certain Jean-François de Toulouzette (ce dernier était séminariste avant de devenir ensuite employé de la SNCF) dont les vaches se trouvaient à Caupenne. Mais c'est surtout avec l'achat de vaches chez Larrouture que tout démarra vraiment, du moins dans ses intentions... car les 4 vaches achetées ne donnèrent guère de satisfactions. Roger Latapy se tourna alors vers les manades de Camargue. La manade Lescot d'abord... mais sur les 4 achetées, nouveau coup du sort, 3 périrent à leur retour. Celle qui resta en vie, une grande coursière, très belle, très vive, surmontée d'une belle armure, fut paptisée Caracola, du nom de cette vache de course que Joseph de Pesquidoux rendit célèbre dans son livre "Chez nous". En 1959, il se tourna vers d'autres manades : Durand, Raynaud, Pourquier... et il acheta des coursières chez Maigret.
Les années passaient, le nombre de courses augmentait : 40 en 1950 avec une prmière cuadrilla attachée à la ganaderia.
Un beau matin de 1951, Roger Latapy eut la surprise de voir arriver chez lui Madame Pabon, ganadero à Aire sur Adour et son fils Raoul, tous deux accompagnés d'un revistero très connu à cette epoque, Monluc le Rouge. Cette visite n'avait d'autre but que de proposer à Roger une association. Roger Latapy jugea cette idée excellente car la mise en commun des bêtes et des hommes ne pouvait que favoriser l'organisation d'un plus grand nombre de courses, et des courses de qualité. Cette association prit le nom de "Latapy et Pabon frères", et effectivement les contrats se multiplièrent. La cuadrilla fut ainsi composée :
Pabon (chef de cuadrilla), Chalosse, Gauthier, Despagnet, Mongis, Gérard, Robert (teneur de corde) et Pabon II (entraineur).
Tout allait pour le mieux, trop peut-être… car devant de tels succés et une telle réussite de cette association, la famille Pabon manifesta son désir (voir même sa décision) de monter en formelle. Et là, contre toute attente peut-être, Roger Latapy refusa catégoriquement ce changement de cap. Il ne voulait pas abandonner son métier. Il était ganadero les jours de course et durant les moments où il se trouvait sur sa propriété, mais le reste du temps il était maçon et puisatier et il n'était pas question pour lui d'abandonner sa profession. Le travail, le métier étaient une chose, sa passion de ganadero en était une autre et il n'était pas question d'abandonner l'un pour l'autre. Pabon monta donc en formelle et Latapy resta en seconde, sans aucune amertume, bien au contraire. Roger considérait qu'il n'était pas encore temps.
Et puis la vie continua, faite de bonheurs et de malheurs. Le mariage de Gilbert le fils aîné et la venue au monde de ses petits fils Bertrand et Didier sont à classer dans la 1ère catégorie, l'accident d'Aimé sur un saut dans les arènes du Bouscat et quelque temps plus tard celui de Gilbert sont malheureusement à classer dans la 2è catégorie.
Côté courses landaises, tout allait bien. Roger Latapy continua ses courses semi-formelles, et il fit confiance à pas mal de jeunes qu'il repérait dans les courses d'amateurs. Ces jeunes deviendront des toreros de renom tels Michel II (Lassalle), Dussarat, Gérard, Ducassou, Montaut, Lacaule et bien d'autres encore. D'ailleurs c'est à ce moment-là que Roger Latapy fit remarquer qu'il était un découvreur de talents et que les autres en profitaient par la suite.
Et puis l'année 1958 amorça un premier virage : finalement, Roger se laissa tenter par les formelles, grâce notamment à Jean-Claude Ley, future étoile de la tauromachie landaise, et les contrats furent nombreux.
Mais ce n'était sans doute pas la vocation de la ganaderia de Souprosse. L'arrivée des jeux « Intervilles » sur le petit écran donna une nouvelle impulsion à ces jeux de l'arène dans lesquels Roger Latapy était resté maître. Il continua donc à produire des courses semi-formelles avec Maxime, Michel Lassalle qui débuta chez lui à 17 ans, puis Armel Lacaule, Eloi Nogaro. Son fils Aimé tenait la corde. Les jeux et les numéros comico-taurins que donnaient les charlots amusaient le public friand de ce genre de spectacle. Roger avait agrandi sa propriété et acheté les terres de Vieillotte.
Durant cette période, deux malheurs fappèrent la famille Latapy, le décès de Lucie, l'épouse de Roger en 1973 et le décés d'Aimé, son fils, en 1981.
En 1977, ce fut un retour à la course landaise formelle. La ganaderia de Souprosse ne pouvait en effet se tenir en dehors des grandes manifestations tauromachiques. Le bétail était à la hauteur et les écarteurs ne manquaient pas pour former une solide cuadrilla. Côté bétail, ce fut l'époque de grandes coursières telles Zapatera, Durandine, Espéranza (corne d'or), Didiera… Côté écarteurs, Didier Bordes remporta de grands concours et fut sacré Champion de France en 1985 pour la seconde fois (la 1ère fois c'est sous les couleurs de Larrouture qu'il avait obtenu son titre), Didier Latapy fut vice-champion en 1986 battu seulement de ¾ de points par Jean-Pierre Rachou.
La vie passait. Roger Latapy, après tant d'années de labeur, de combats de toutes sortes, ressentait la fatigue peser sur ses épaules. Sa fille Gisèle Inchauspé vint le seconder en 1984. Elle quitta le sud-est de la France où elle était installée. Durant 10 années Gisèle Inchauspé mena la ganaderia en grande professionnelle et elle obtint les plus beaux titres : nombreux concours, le championnat de France avec Didier Bordes, des victoires dans le challenge Landes-Béarn, la corne d'or pour Espéranza, très grande coursière, le titre de cordier d'argent pour Michel Lassalle… 10 années durant lesquelles le nom de Latapy aura brillé… mais aussi période cruelle pour Gisèle Inchauspé puisqu'en 1985, son époux Jean est tué dans un accident de la route.
En 1994, après un nouveau succès dans le challenge Landes-Béarn, Gisèle Inchauspé décida de se retirer de la course landaise. Un an plus tard, Roger Latapy nous quittait à 87 ans.
Roger Latapy a tout donné à la course landaise. Et lui, le plus petit des ganaderos, s'est fait un grand nom que toute l'aficion, et bien même au-delà, connaît et apprécie. Car Roger Latapy n'était pas seulement le ganadero que l'on connaissait, c'était aussi un homme de cœur que l'on appréciait.
Si la ganaderia Latapy ne figure plus aujourd'hui sur les programmes, elle est toujours présente. D'abord par le nom, celui de Bertrand, entraîneur-cordier chez Michel Lassalle, et qui porte avec honneur ce nom prestigieux, celui de Didier Latapy écarteur et aujourd'hui teneur de corde, celui de Rémi Latapy fils de Bertrand, élève de l'école taurine et dont les aptitudes ont déjà été démontrées dans l'arène, et bien sûr Jean-Baptiste Latapy fins de Didier, champion des jeunes en 2007 et dont l'avenir est tout tracé.. Le nom et l'aficion qui en découle n'est donc pas prête de s'éteindre.
2.)
En 1994, Michel Lassalle qui avait fait ses débuts à Souprosse, a racheté la ganaderia, a continué à la faire vivre et à la faire prospérer en ajoutant un deuxième lieu d'élevage baptisé l'Aficion. Et cela jusqu'en 2008, année que Michel Lassalle avait choisi pour prendre sa retraite ganadero. (voir l'histoire de la Ganaderia Lassalle) Depuis 1994, Michel Lassalle a su donner à la ganaderia sa propre empreinte, notamment sur le plan de l'élevage. Mais il n'empêche que de 1994 à 2008, le nom et l'image de la ganaderia Latapy que tous les aficionados ont en mémoire n'a cessé de flotter au-dessus de ces lieux, le souvenir d'un ganadero qui fut « le plus grand parmi les petits ».
Au moment de quitter la scène en 2008, Michel Lassalle souhaitait vendre son troupeau afin que les couleurs rouge et bleu soient toujours présentes dans les arènes du Sud-Ouest. Plusieurs acquéreurs étaient sur les rangs. Mais un cas de tuberculose dut le contraindre, en fonction des règles sanitaires actuelles, à l'abattage du troupeau. Terrible décision. Toute une histoire, tout un patrimoine qui s'arrêtaient sur ces terres illustres.
Aujourd'hui, sur les terres de Vieillote, s'est installée la Ganaderia du Vert-Galant (lire la rubrique consacrée à cette Ganaderia). La course landaise continue donc à vivre sur ces lieux chargés d'histoire.