A Buros tout commence il y a un peu moins de deux siècles avec la naissance de Joseph Barrère le 20 mars 1864 à Buros, sur la commune d’Escalans Sainte Meille.
A peine adolescent, le jeune Joseph connaît déjà les rudiments de base de l’élevage des vaches de course. Il a appris cela aux côtés de M. Druillet, châtelain du domaine de Buros (M. Mouchet de Gabarret lui cède le troupeau de vaches de course en 1870).
C’est en 1889 que Joseph Barrère lui achète à son tour le troupeau. Ce premier achat fut vite complété par d’autres effectués en Navarre et Castille.
Héritier de M. Druillet, le nouveau « châtelain de Buros » acquiert une notoriété considérable dans le milieu de la course landaise par la qualité de son troupeau, la vaillance des hommes engagés pour les affronter mais également par son investissement personnel et sa passion.
Au début du XXe siècle, la plupart des grandes vedettes affrontent les coursières du Buros. Suite à cette belle période, la guerre éclatera les différents cheptels landais et il faudra attendre l’armistice pour que de nouvelles vaches foulent les terres de Joseph Barrère.
Le ganadero de Buros décède en 1933 et c’est son fils Fernand, aidé du petit-fils Bernard (le père de Jean), qui prolonge l’affaire quelques années (avec notamment Joseph Coran qui sera titré « roi de l’arène chez le roi des ganadéros » en 1938) et les vaches partent peu à peu jusqu’à laisser les terres sans bétail brave de 1939 à 1975.
Il fallut attendre la quatrième génération Barrère avec l’arrivée de Jean pour revoir ce bétail à Escalans. Ce dernier, après de brillantes études d’œnologie faites à Bordeaux travaille 4 ans au cœur des vignes.
Au bout de tout ce temps, l’appel de la nature et la fièvre bleue étaient trop forts. « Cela me chatouillait de voir les palombes passer dans le ciel alors que moi j’étais en train de mesurer le sucre dans les raisins au milieu des vignes »... et Jean Barrère entreprend alors de reconstituer un troupeau et faire vivre les terres de Buros comme son aïeul.
Faisant son bonhomme de chemin, la ganaderia fait naitre plusieurs générations de vaches dont certaines seront de brillantes coursières. Jean Barrère est également un écarteur valeureux qui n’hésite pas à revêtir boléro et béret pour faire briller l’art taurin landais, pendant 10 années.
Sous la présidence de Gérard Darrigade, il effectue également un mandat d’administrateur au comité directeur de la Fédération Française de la Course Landaise. Il garde un souvenir fort de ces années-là : « Un mandat mais pas plus, cela m’a suffi ! » « Il ne fallait pas vouloir porter atteinte au côté conservateur ou arriver avec des idées pour faire évoluer les choses… ». Mais cela ne l’empêche pas de toujours promouvoir ce sport traditionnel.
En 1994, un groupe de tauromaches avertis constitué d’Henri Tilhet, Victor Mendès, Alain Lartigue et les frères Luc et Marc Jalabert, achètent un lot de 28 vaches. Ils demandent à Jean de pouvoir les loger à Buros. Ce dernier accepte avec plaisir et entretient ainsi de bonnes relations avec le milieu.
En 2003, suite à une suspicion de tuberculose, le troupeau est abattu (au final les résultats seront négatifs). Mais Jean, épaulé par Marie-Sylvie son épouse, ne se décourage pas et rachète vaches et taureau reproducteur pour repartir de plus belle.
Depuis, plusieurs vaches sont sorties à la corde notamment sous les couleurs de la ganaderia Dargelos, et certains taureaux nés à Buros ont aussi fait les beaux jours du festival Art et Courage ou encore des spectacles Landes Émotions.
Origines du bétail
Lors des premiers achats de bêtes réalisés par Jean dans les années 90, il s’oriente vers du bétail d’encaste Atanasio Fernandez avec notamment le fer Hermanos Molero.
En 2003, pour reconstruire le troupeau, toujours en privilégiant cet encaste, il s’oriente vers du bétail de Los Bayones (de la province de Salamanque) pour les vaches et vers l’étalon Trompetillo d’origine Cortijoliva.
Fonctionnement actuel
Photo Jean-Claude Dupouy
Dans les ganaderias de course landaise, on parle peu d’élevage puisque la plupart des ganaderos se fournissent régulièrement ailleurs (en Espagne ou au Portugal, et Sud-Ouest ou Camargue en France), en achetant des bêtes qui ont déjà plusieurs années. Les animaux n’ont que peu d’intérêt avant l’âge de 4 ans, lors de leurs premières sorties en piste ; c’est là que devient intéressant de voir leur comportement et de percevoir le potentiel ou pas de la vache pour la course.
« L’élevage de bétail brave est un gouffre financier. »
Les conditions d’élevage en France restent bien différentes des fincas espagnoles dans lesquelles les animaux ont des centaines d’hectares à parcourir pour trouver leur alimentation et de quoi s’abreuver. L’arrivée du bétail en France constitue un premier stress avec une période d’acclimatation à respecter afin de laisser le temps aux animaux de prendre leurs repères et de s’habituer aux conditions de vie.
De plus, le comportement d’une vache à la corde n’aura rien à voir avec celui d’un animal qui courra libre dans l’arène. Les premiers pas d’une vache en piste sont donc très observés afin de déterminer si oui ou non elle peut faire carrière comme coursière.
Jean Barrère a choisi de s’orienter vers la reproduction pour l’élevage de vaches pour la course landaise, mais aussi pour faire fonctionner son élevage et respecter les normes administratives françaises liées à l’élevage bovin (chaque vache doit pouvoir justifier d’un veau tous les ans ou au moins tous les un an et demi).
A Buros, le rythme de reproduction est assez naturel afin de privilégier des vêlages (mise-bas) réguliers mais qui ne pèsent pas trop sur la carrière d’une vache reproductrice. Ainsi, si certaines vaches montrent de bonnes aptitudes à la course, elles sont vendues après une période d’essai. Il arrive qu’elles reviennent ensuite à la ganaderia pour se reproduire et espérer voir naitre ensuite une digne représentante de la lignée.
Alimentation du bétail
Le cheptel est nourri de la façon la plus naturelle possible avec utilisation de la ressource fourragère toute l’année (herbe et foin). Le maïs cultivé (une trentaine d’hectares) lorsqu’il n’est pas vendu à la coopérative est conservé sur place et moulu pour avoir de la farine à utiliser pour habituer le bétail et faciliter sa manipulation.
« L’essentiel c’est que les bêtes aient du parcours et qu’elles ne soient pas trop cloisonnées. » Ainsi, chaque lot d’une quinzaine de vaches dispose d’une trentaine d’hectares toute l’année. Les mâles, lorsqu’ils sont séparés des mères ont leur propre enclos et alimentation.
Le bétail brave a besoin de contacts réguliers avec l’homme pour rester manipulable lors des contrôles vétérinaires (prophylaxie) réalisés chaque année, ou lors des différents tris inhérents à la vie d’une ganaderia (sevrage, sélection des reproducteurs, etc). Ces contacts, essentiellement, via l’alimentation, se doivent d’être respectueux du comportement de l’animal et suivre toujours le même protocole pour que la bête approche en confiance. Le moindre changement d’habitude peut causer des réactions très vives du bétail et provoquer des accidents souvent préjudiciables.
Choix des reproducteurs
Aujourd’hui, la ganaderia de Jean Barrère dispose de 3 taureaux pour la reproduction. L’un d’entre eux, Joko (toro d’origine François André (encaste Santa Coloma)) de la même camada (fratrie) que le toro Lucero qui est désormais à la ganaderia Noguès. Tous deux avaient fait fortes impressions lors du festival Art et Courage de 2013 qui avait lieu à Dax.
Pour compléter les mâles, il y a Julio et Vergo qui ont brillé sous les projecteurs du festival Landes Emotions, proposé par le club taurin Boletero durant l’été 2018 dans différentes places.
C’est un véritable travail d’alchimiste que d’arriver à accoupler les animaux adéquats pour obtenir un produit digne de se produire dans une arène. Un bon toro et une bonne vache ont de fortes chances de produire un bon animal mais il n’y a aucune garantie, cela reste le mystère de la génétique. La nature garde la suprématie sur le travail de l’éleveur.
Cheptel actuel
Fin 2018, le troupeau compte 82 reproducteurs (avec 3 taureaux à la saillie). A cela, il convient d’ajouter une quarantaine de jeunes (veaux de l’année et ceux de l’an passé). Les animaux qui ne sont pas utilisés pour les jeux taurins partent à la boucherie.
Il y a 3 lots d’une quinzaine de mères soit un lot par mâle. Les veaux restent avec leurs mères jusqu’au sevrage.
Autres activités agricoles
L’élevage de bétail brave est le support dont profitent Jean et Marie-Sylvie Barrère afin de proposer l’accueil à la ferme dans le cadre de leur activité d’agritourisme. Cela concerne essentiellement l’accueil de groupes (près de 7000 personnes en 2018, sinon une moyenne aux alentours de 6000 visiteurs par an).
La ganaderia de Buros propose ainsi tout un lot d’activités à la mode gasconne : ferrade et capéa ou initiation à la course landaise, découverte de l’élevage de mouton landais avec la tonte annuelle, découverte de la chasse à la palombe au filet, repas de famille ou séminaires en tous genres. Les visiteurs sont accompagnés par Lou Yan de Buros qui leur conte les histoires de son pays, mêlant français et gascon de façon chantante. Le personnage de Lou Yan de Buros est porteur d’une identité forte. « Il y a plein de Yan de Buros partout, il faut les encourager et savoir parfois saisir certaines opportunités. »
Chaque journée peut comprendre un repas préparé sur place par la maîtresse des lieux avec des plats qui sentent bon le terroir de chez nous (garbure, tourin à la tomate, daube de toro maison, poule au pot, tourtière pour ne citer que quelques exemples).
Chris Photo
En parallèle et pour subvenir aux besoins du troupeau, il y a aussi la culture de maïs sur 35 ha (pour une Surface Agricole Utile globale de 130 ha).
Enfin, depuis plusieurs années, un troupeau de brebis landaises d’une quarantaine de têtes accompagne vaches et chevaux dans les prés. Cette race en conservation a bien failli disparaître alors qu’elle était omniprésente dans les Landes et participait à l’entretien du territoire. Le troupeau est suivi par le Conservatoire des Races d’Aquitaine qui gère la variabilité génétique et l’échange des reproducteurs. Ainsi le bélier est placé en convention et échangé régulièrement afin de privilégier un brassage génétique optimal. Divisé en trois lots, ce troupeau est placé en éco pâturage sur l’agglomération du Marsan pendant l’été et il sert également de support pédagogique lors de visites scolaires, durant le reste de l’année.
- Souvenirs d’une visite -
Lorsque l’on est attendu chez Lou Yan de Buros et sa compagne pour une visite, cela se fait en grandes pompes, enfin plutôt en « hautes pompes ». En effet, son manteau en véritable peau de mouton sur le dos, le béret vissé sur la tête, Yan de Buros nous accueille en échasses, bien déterminé à nous plonger directement dans la culture landaise, au son de la Marche Cazérienne. « Le béret, ce sont nos racines que l’on porte sur la tête ! » (Lou Yan de Buros)
Quelques rudiments de gascon permettent à notre guide de jauger son public et d’installer définitivement l’ambiance de la journée à la ganaderia de Buros.
Petit point sur l’historique de la ganaderia, de Joseph à Jean en passant par Fernand Barrère. Jean ne résiste pas à nous proposer un petit exposé sur le fameux « meuble de l’échassier » avant de nous conduire à l’extérieur auprès des vaches.
Pas avare d’explications, Jean nous présente ainsi les vaches dont certaines ont brillé sous d’autres couleurs. Ainsi Cyndi, Estelle, Paloma, Gabriella et d’autres sont venues au devant des visiteurs goûter le maïs offert par le ganadero. Même Iris, la vache marine landaise, se montre tout en gardant sa distance.
Quelques tintements de sonnaille et nous voilà dirigés vers la grande salle où l’apéritif puis le repas préparés par Marie-Sylvie nous sont servis.
Les plats préparés maison (dont une excellente daube de toro) régalent notre groupe et nous permettent de nous réchauffer.
Reprenant le micro, voilà notre hôte nous montrant quelques belles images d’archives. Cela lui permet d’illustrer ses propos sur la course landaise et son histoire.
Une fois le café avalé, nous avons la chance d’assister au casse-croûte des toros de la maison, juste derrière les larges baies vitrées.
Dernière étape de la visite pour le groupe avec le passage par la placita. Cette arène construite il y a plusieurs années accueille régulièrement des démonstrations de course landaise, des jeux taurins ou toute autre activité organisée dans le cadre de l’accueil des groupes pendant l’année. La vache à roulettes nous accompagne et permet aux enfants de s’initier brièvement à l’art de l’écart sur la feinte.
Jean Barrère, en excellent pédagogue a permis à un groupe déjà initié de repartir connaisseur de l’art taurin landais.
Quelques dernières questions au coin du feu en aparté nous permettent de recueillir le sentiment de notre guide gascon au sujet de la course landaise et de son évolution.
Très occupé par son activité agritouristique essentiellement estivale, l’homme coursayre n’a pas beaucoup d’occasions d’assister à une course. Néanmoins, il lui arrive de commenter les grands rendez-vous de la temporada pour Radio France Bleu Gascogne ou encore pour les DVD de la société Eurofilm.
Il reste donc un passionné impliqué dans le mundillo de la course landaise et au courant de la plupart des informations de fond.
Jean regrette le manque de reconnaissance des acteurs. « On est au ministère des sports et ce n’est pas valorisé. Idem dans les journaux où cela n’apparaît pas dans les pages « sports ». Comme lors des remises de prix régionaux pour les distinctions sportives, cela n’apparaît pas du tout. »
Les toréros landais restent des êtres d’exception et sont une des charnières de ce sport. Sans eux, rien n’existerait. « Ce sont les acteurs qui sont au centre de ce sport et il faut les garder là-dedans. »
Chez Jean Barrère, les idées ne manquent pas, mais il estime que d’autres en ont aussi depuis longtemps. Il faut pouvoir offrir les opportunités suffisantes à leur mise en œuvre.
Au niveau évolution de la course, selon lui il est indéniable que les choses doivent bouger. « Quand on voit l’engagement et la qualité des acteurs d’aujourd’hui par rapport à autrefois, c’est le jour et la nuit ! La qualité est là aujourd’hui et l’on devient de plus en plus exigeant. On a beaucoup progressé depuis que l’on pratique cet art ! Il faut replacer les choses dans leur contexte lorsque l’on parle d’avant, comme pour parler de la musique, par exemple. » Ainsi, une course landaise de 1938 n’aura rien à voir avec celle d’aujourd’hui mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’est pas de qualité et intéressante à analyser.
« La course landaise, soit ça évolue, soit ça crève ! » « Il ne faut pas garder la course landaise comme hier ou aujourd’hui, ce sera autre chose demain. »
Lorsque l’on voit aussi les spectacles qui se montent en parallèle de la course landaise et qui remplissent les arènes il y a de quoi se poser des questions. Le public attend de vivre son lot d’émotions. Il y a toujours eu des cas particuliers (comme Félix Robert le premier matador de toros français qui aura dû couper ses belles moustaches pour obtenir l’alternative ; ou encore Nicolas Vergonzeanne et ses saisons passées en Espagne ; ou plus récemment Baptiste Bordes qui affronte des toros en Espagne et dans les grandes places françaises, ou encore Emmanuel Lataste qui officie lors des rodéos américains et canadiens) qui avaient le champ libre tout en respectant les principes et les bases de la course landaise.
Pour lui, il faut faire vivre les traditions pour qu’elles perdurent : « Allier tradition et modernité pour pérenniser la course landaise. »
Date de dernière mise à jour : 16/12/2023
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