1965 : Sur les rives du Luy
Extrait
Pour la famille Goeytes, c’est un heureux événement qui survient avec la venue au monde d’un petit garçon, le deuxième fils de Robert et Thérèse. Alain était né le 12 mars 1962. Et c’est trois ans plus tard, le 1er mars 1965, que Didier naît à Orthez, sur les terres de Gaston Fébus. Il en a gardé sans aucun doute l’âme chevaleresque, celle d’un combattant, parfois d’un guerrier, acquérant ses plus beaux titres et ses trophées les plus glorieux dans des joutes inoubliables. Il y a sûrement appris l’esprit des preux chevaliers, la vaillance, la bravoure, la générosité, le respect de l’adversaire, la fidélité, la passion vécue coûte que coûte.
Orthez la jolie aurait pu l’adouber, mais finalement c’est à quelques dizaines de kilomètres de là, à Amou, heureuse terre des Landes, perle de la Chalosse et berceau de l’aficion, que Didier Goeytes viendra mener sa vie. Des eaux du Gave de Pau aux rives du Luy, le tout jeune garçon n’aura pas beaucoup de mal à s’acclimater. Et s’il n’a pas eu le temps de connaître le château de Moncade il aura tôt fait de découvrir celui d’Amou, conçu par Mansart l’architecte de Versailles. Et puis, hasard de la vie, c’est justement rue Moncade où il résidera jusqu’en 1988, au numéro 22, dans une grande maison construite en 1868. Mais son château à lui, ce seront très vite les arènes de la Técouère, sur une belle place ombragée où les frondaisons des magnifiques platanes centenaires donnent de la fraîcheur, et où l’on aime venir se promener les soirs d’été. Il vient y jouer au fronton, mais rêve surtout aux courses landaises qui se déroulent aux arènes. Construites en 1954 avec le concours bénévole de la population, selon les plans de Monsieur Prunetti architecte à Dax, les arènes d’Amou sont bâties en dur au cœur d’un parc somptueux. Leur blancheur, leur architecture, le chapiteau qui surmonte la porte d’entrée principale et sur lequel figure la devise amolloise « Amou que soy » (Je suis d’Amou), rappellent certaines arènes andalouses, un petit air d’Estepona. Didier est déjà convaincu qu’il y entrera un jour en tenue d’écarteur (comme l’a fait son père avant lui), et il rêve déjà de sortir « a hombros » par la grande porte, face au pont du Luy, comme les plus grands toreros landais ou espagnols. Amou est une terre d'écarteurs et de capitaines qui aiment toujours le danger bravé avec art. La course des Rameaux à Amou, l’une des premières de la saison, est réputée et attire tous les tauromaches de la région. Les champions de la ganaderia Labat, parmi lesquels les frères Vis, Christian et Guillaume, s'y taillent toujours un beau succès. Le boulanger-coursayre amollois Jean Labère, qui sait aussi bien pétrir les hommes de la cuadrilla que la pâte dans son fournil, n’y est pas étranger. Il fait office de débisaïre et n’a pas son pareil pour commenter la course, l’animer, transcender souvent les toreros, et ne pas se priver parfois d’un « bara bara » devenu légendaire pour signifier qu’une coursière doit être rentrée dans sa loge lorsqu’elle manque de combativité. Ce que Didier ne sait pas encore, c’est que quelques années plus tard......
1984
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Après le championnat de France, la temporada touche à sa fin. C’est le temps revenu du « mercato ». Cette fois, Jean-Charles sait que les prédictions d’Henri Duvignau vont se réaliser et que Joseph Labat a fait des propositions à Didier.
Mais le problème est un peu plus compliqué. D’abord Joseph Labat n’est pas le seul sur les rangs. Marcel Linès a également approché l’amollois, présenté ses offres et souhaité que Didier rejoigne sa ganaderia. Il est venu le voir avec son chef de cuadrilla Bernard Laplace. Mais Didier ne le connaît pas et se montre peu empressé.
A vrai dire, le souhait du petit prodige de Pussacq est tout autre, son horizon est ailleurs. Il veut rejoindre la ganaderia de Gisèle Latapy à Souprosse. Une ganaderia de renom, sur les terres de Vieillotte, que Roger Latapy a hissé au rang des formelles, que sa fille Gisèle vient de reprendre et qu’elle conduira avec passion et maestria jusqu’en 1994. Le choix de Didier est très personnel, beaucoup plus celui du cœur que de la raison. Un autre torero amollois, de dix ans son aîné, compte plus que tout autre ; parce qu’il est amollois, parce qu’il est l'un des plus grands écarteurs de cette époque, parce qu’il est le meilleur exemple de ce que lui veut devenir. Cet écarteur, c’est Didier Bordes… celui-là même qui vient de gagner les concours prestigieux de Mont de Marsan et de Dax. Et Didier le dit toujours avec une petite flamme dans les yeux : « Didier Bordes c’était mon idole ».
Didier Bordes est un élément essentiel de la cuadrilla de Gisèle Latapy. La question ne se pose donc pas : "C’est chez Gisèle Latapy que je voulais écarter". Marcel Linès a fait ses propositions, Joseph Labat a présenté les siennes, plutôt intéressantes… reste à convaincre Gisèle Latapy, la dame de Souprosse. La rencontre a bien lieu mais l'entrevue ne correspond pas tout à fait à ce que Didier espére. La ganadère lui fait comprendre qu’il débute dans la carrière, que malgré ses qualités il a tout à prouver, et qu’elle ne l’engagera pas aux mêmes conditions que Joseph Labat. Ce n’est pas une fin de non-recevoir mais un rappel de quelques principes. C'est un peu la douche froide pour quelqu'un qui était presque sûr de son coup. Alors que faut-il faire ? Maxime donne alors son avis et fait quelque peu la leçon. Labat c’est quand même le prestige, l’assurance d’un grand nombre de courses, une équipe de haut niveau, et un contrat intéressant......
1986
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A Audignon le 10 août, Eric Labeyrie est au pinacle ; Il dompte la difficile Cordoba qui salue bien haut. Didier le talonne, réussissant de bons écarts devant l’ancienne corne d’or Maroca, toréant de fort jolie façon la nouvelle, bien armée et combative, mais peut-être le fait-il avec moins d’éclat qu’habituellement. A Plaisance du Gers le 11 août, il n’occupera pas non plus les premiers rangs. Le 15 août, c’est la plaza renommée de Nogaro qui fête en même temps que l’assomption la tradition taurine. Robert Castagnon ouvre une fois encore ses arènes ombragées à la ganaderia Labat. Décidément en très grande forme et très sûr de lui, Philippe Descazaux inonde les arènes de son art et de ses figures magiques devant Flamenca et Negocia. Labeyrie et son double saut d’appel, Lalanne et ses feintes ciselées, séduisent le public nogarolien. Didier avec dix-huit passages se montre à son avantage devant Maroca. Mais il nous a tellement habitués à des scores flatteurs que les esprits critiques commencent sérieusement à douter de sa condition. Serait-ce une période de méforme ou de doute ? On s’habitue facilement au meilleur, et on oublie bien souvent qu’une cuadrilla est une équipe et que les relais s’imposent. Le soir du 15 août à Saint-Yaguen il remet d’ailleurs les pendules à l’heure, et avec 34 écarts il est l’homme de la soirée, recevant la coupe du comité des fêtes. Le lendemain à Arboucave il en rajoute six de plus et se classe à nouveau à la première place, recevant pour l’occasion la septième coupe de l’année. Rue Moncade, la salle à manger devient un musée et Thérèse est promue conservateur en chef... et première dame lustreuse.
Lors du concours de Dax le 19 août, Didier ne se classe pas et laisse le champ libre et toutes ses chances à son capitaine. Philippe Descazaux triomphe, c'est de bonne guerre, et ce n'est que justice pour le chef de cuadrilla.
A Lembeye le 23 août se dispute le 2ème concours de la Mutuelle des Toreros. Les « grands » ne rechignent pas à y concourir. Ce jour-là la lutte est épique entre Jean-Pierre Rachou, chef de cuadrilla chez Dargelos, sans aucun doute l’un des plus grands écarteurs de tous les temps, et Didier, souvent son adversaire dans de telles rencontres......
1987
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Le monde de la course landaise va malheureusement perdre l’un des écarteurs qu’elle chérissait. Le 27 juillet 1987, à Montfort en Chalosse, la course landaise des fêtes vient de débuter. Montfortoise est la deuxième coursière qui entre en piste pour la compétition. Christian Ramuncho la débute, puis vient Bernard Huguet. Il veut donner à cette soirée la réussite qu’il escompte. Montfort, c’est un peu sa cité, son territoire. A son 4ème écart, la vache, lâchée côté loges, part avec une vitesse inouïe, et Bernard, certainement surpris par ce rush furieux, la reçoit de plein fouet. Il tombe lourdement quelques mètres plus loin. Il ne se relève pas. La civière l’emporte à l’infirmerie, puis l’ambulance vers l’hôpital de Dax, l’hélicoptère pour l’hôpital Pellegrin de Bordeaux. C’est très sérieux. Malgré tout on espère. Hélas, le mardi suivant, la nouvelle terrible se répand : Bernard Huguet est décédé, à 38 ans. Le jeudi 30 juillet, toute l’aficion accompagne Bernard à sa dernière demeure, des plus modestes aux plus glorieux, la gorge serrée par les sanglots. Tous perdent un ami, un prestigieux défenseur de la course landaise, un superbe écarteur landais, généreux dans la vie comme dans l'arène. Mort au champ d’honneur, sur la piste des braves, jusqu’au terme tragique de sa passion. Pour honorer sa mémoire, une stèle lui a été dédiée, attenante au Musée de la course landaise à Bascons. Et un trophée qui porte son nom récompense chaque année l'écarteur qui réalise les plus beaux écarts de la saison, écarts dits "bonifiés" par un jury dans les courses de compétition.
L’année 1987 avait pourtant bien commencé, selon la tradition et l’ordonnancement habituel des courses, à des échéances quasi-immuables. Estang, Amou, Castelnau d’Auzan, Garlin, Montsoué… c’est l’ordre des choses et des plazas qui donnent l’envoi de la temporada......
Epilogue
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"C'est encore peu de vaincre, il faut savoir séduire" écrivait Voltaire. Didier a souvent vaincu au cours de ses quinze années de course landaise : en premier lieu les coursières et les toros qu'il affrontait, mais aussi ses adversaires, sa peur et ses blessures. Les coursières et les toros, il sut les mystifier et les dominer par le mélange savant de sa technique, de son art et parfois de son culot, de cette envie de gagner qui le caractérisait dans toutes ses pratiques sportives. Ses adversaires, souvent aussi doués que lui, avec d'autres styles mais les mêmes envies, il sut parfois les dépasser, profitant de son aisance à tourner des deux côtés de la corde, de son style à la fois classique et gracieux, sachant aussi pousser ses concurrents à la faute, les obligeant à prendre des risques un peu fous. Sa peur, il ne la montra que rarement, faisant preuve d'une grande force de caractère, intériorisant craintes et doutes. Ses blessures, parfois douloureuses et contraignantes, il les soigna, sans jamais se plaindre, avec toujours l'objectif de revenir, et de revenir plus fort sur le sable des arènes... face à une Garlinère, une Listone ou une Fédérale. Un écarteur landais est courageux, sinon il n'est pas.
Mais tout au long de sa vie d'écarteur, ou d'homme tout simplement, Didier a su aussi séduire. Et en premier lieu son public. Il lui a tout donné, son art, sa générosité, son talent, son sourire, son envie de combattre... car le public vient aux courses pour voir un combat, et des combattants valeureux, qui ne renoncent pas. Et puis il a apprécié sa disponibilité, sa simplicité, pour parler, pour répondre aux questions, pour partager ses victoires, pour serrer une main, donner une accolade, boire le petit coup de l'amitié après la course, poser pour une photo. L'écarteur a séduit dans la piste par son art, et hors des arènes par sa chaleur humaine, son grand coeur et son comportement populaire.
Didier voulait être écarteur, il a été écarteur... Il voulait ressembler au père, il a hérité de sa passion, de ses valeurs, de son charisme... Il voulait accéder aux......